Quand le candidat
Mohamed Ould Abdel Aziz choisit comme symbole de campagne une banderole où
s’affichent sa photo et celle du premier président de Mauritanie, Me Moktar
Ould Daddah, c’est toute une page qui est ouverte dans la relation avec le
passé. En effet, l’un des axes fondamentaux de la politique nihiliste de l’ère
Taya fut la guerre au passé. Il s’agissait dans un premier temps de déprécier
ce passé et ses acteurs, ensuite de le faire oublier.
Le livre «Le Marabout et le Colonel» de «notre ami François Soudan» fondait
cette volonté de vouloir tuer le Père… de la Nation. L’entrée en scène de
Moktar Ould Daddah, en janvier 1995, au lendemain des «émeutes du pain», allait concrétiser cette inimité : Ould Taya
devait faire comme s’il ne pouvait exister qu’en tuant le souvenir du premier
Président de la Mauritanie. Ce parallèle malvenu devait servir «le Père de la Nation» dont le retour sur
la scène avait été pourtant mal fait. Quand on s’est tu tout ce temps, il
fallait continuer à se taire. Cela participait à cultiver un mystère autour
d’une époque et de ses hommes, principalement de celui qui les avait encadrés,
dirigés et soutenus.
Le mauvais
exercice du pouvoir de 1978 aux années 2000, devait servir aussi cette image
qui finissait par se confondre avec «un
âge d’or» mauritanien, édulcoré, travaillé par le souvenir d’une construction
de la Nation mauritanienne par des gens qui n’avaient pas les moyens de leurs
ambitions et qui ont fini quand même par fonder quelque chose de viable malgré
les revendications de nos voisins du Nord et du Sud, malgré l’hostilité d’une
grande partie de l’élite de l’époque qui ne croyait pas assez au «projet Mauritanie».
Créer un Etat et
asseoir ses fondements. C’est le premier défi. Il fallait d’abord le faire
reconnaitre par les voisins qui voulaient le dépecer. Tout fut bataille :
de l’entrée aux Nations-Unies à celle de la Ligue arabe, en passant par la
construction africaine. Il fallait ensuite le faire reconnaitre par ses
habitants qui préféraient encore se retrouver dans leurs cercles restreints de
tribus, d’ethnies et de régions. En moins de dix ans d’indépendance, la
Mauritanie devient un élément essentiel du concert des Nations. Jouant toutes
les partitions, elle entend incarner ses vocations premières. Dont «le pays d’ouverture et de convergence»
ou comme disait le Président Moktar, «être
la Suisse de l’Afrique», en d’autres termes «le trait-d’union entre l’Afrique noire et l’Afrique blanche».
Acquérir son
indépendance réelle. Révision des accords de défense avec la France, renoncer
aux subventions budgétaires versées par l’ancienne Métropole coloniale,
soutenir la lutte des peuples encore sous domination coloniale, s’engager du
côté du faible, de l’opprimé… tels sont les actes qui fondent «l’indépendance politique».
S’approprier ses
ressources. Créer une monnaie nationale, l’Ouguiya est à la base de l’axe de «l’indépendance économique» qui prend
ancrage avec la nationalisation des ressources minières, le lancement d’une
politique d’industrialisation.
Renforcer «l’exception mauritanienne» en recentrant
l’enracinement culturel du pays. Arabisation du système éducatif,
réhabilitation de la vocation «naturelle»
de la Mauritanie comme pays de convergence où se côtoient diverses cultures
produisant une symbiose humaine de qualité.
La triptyque
construite autour de «l’indépendance
politique», de «l’indépendance
économique» et de «l’indépendance
culturelle» devait être à l’origine des «quinze glorieuses» que constituent les premières années du «Projet Mauritanie». Un projet servi par
des hommes qui ont fait de l’humilité et de la dignité des valeurs premières.
Tout cela a fini
par nous manquer. Pour devenir une sorte d’objection de conscience à tous les
acteurs politiques. Ne nous étonnons point devant l’indifférence affichée
vis-à-vis de l’époque et de ses hommes, les leaders d’aujourd’hui ont des
comptes à régler avec le passé qui les dénude et les décrédibilise. C’est comme
ça qu’il faut comprendre l’origine du «meurtre
du Père».
Quand il est venu
au pouvoir en août 2008, le Président Ould Abdel Aziz s’est empressé de
réhabiliter ce temps-là. D’abord en faisant porter le nom du premier président
à la plus grande et la plus neuve des avenues de Nouakchott. Ensuite en levant
le tabou concernant la période. On a fini par célébrer les hommes et l’époque. L’affichage,
des photos sur la même banderole annonçait une nouvelle relation avec le passé
qui n’était plus source d’inquiétantes présomptions, mais inspiration pour
rebâtir un avenir meilleur et refonder le Projet sur les bases originelles. L’espoir
de voir le pays reprendre la construction d’un Etat libéré des pesanteurs
sociales d’antan, de le voir promouvoir la citoyenneté par l’émancipation des Hommes
et de cultiver l’unité dans la diversité, cet espoir est toujours à entretenir
dans un pays où les énergies sont bouffées par «la politique politicienne».
Dix ans après le
décès de Moktar Ould Daddah, nous avons encore besoin de nous remémorer les
valeurs qui ont fondé la Mauritanie qui a fini par devenir ce qu’elle est
aujourd’hui. Pour nous-mêmes et pour le pays.