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mardi 15 octobre 2013

Refonder le projet

Quand le candidat Mohamed Ould Abdel Aziz choisit comme symbole de campagne une banderole où s’affichent sa photo et celle du premier président de Mauritanie, Me Moktar Ould Daddah, c’est toute une page qui est ouverte dans la relation avec le passé. En effet, l’un des axes fondamentaux de la politique nihiliste de l’ère Taya fut la guerre au passé. Il s’agissait dans un premier temps de déprécier ce passé et ses acteurs, ensuite de le faire oublier.
Le livre «Le Marabout et le Colonel» de «notre ami François Soudan» fondait cette volonté de vouloir tuer le Père… de la Nation. L’entrée en scène de Moktar Ould Daddah, en janvier 1995, au lendemain des «émeutes du pain», allait concrétiser cette inimité : Ould Taya devait faire comme s’il ne pouvait exister qu’en tuant le souvenir du premier Président de la Mauritanie. Ce parallèle malvenu devait servir «le Père de la Nation» dont le retour sur la scène avait été pourtant mal fait. Quand on s’est tu tout ce temps, il fallait continuer à se taire. Cela participait à cultiver un mystère autour d’une époque et de ses hommes, principalement de celui qui les avait encadrés, dirigés et soutenus.
Le mauvais exercice du pouvoir de 1978 aux années 2000, devait servir aussi cette image qui finissait par se confondre avec «un âge d’or» mauritanien, édulcoré, travaillé par le souvenir d’une construction de la Nation mauritanienne par des gens qui n’avaient pas les moyens de leurs ambitions et qui ont fini quand même par fonder quelque chose de viable malgré les revendications de nos voisins du Nord et du Sud, malgré l’hostilité d’une grande partie de l’élite de l’époque qui ne croyait pas assez au «projet Mauritanie».
Créer un Etat et asseoir ses fondements. C’est le premier défi. Il fallait d’abord le faire reconnaitre par les voisins qui voulaient le dépecer. Tout fut bataille : de l’entrée aux Nations-Unies à celle de la Ligue arabe, en passant par la construction africaine. Il fallait ensuite le faire reconnaitre par ses habitants qui préféraient encore se retrouver dans leurs cercles restreints de tribus, d’ethnies et de régions. En moins de dix ans d’indépendance, la Mauritanie devient un élément essentiel du concert des Nations. Jouant toutes les partitions, elle entend incarner ses vocations premières. Dont «le pays d’ouverture et de convergence» ou comme disait le Président Moktar, «être la Suisse de l’Afrique», en d’autres termes «le trait-d’union entre l’Afrique noire et l’Afrique blanche».
Acquérir son indépendance réelle. Révision des accords de défense avec la France, renoncer aux subventions budgétaires versées par l’ancienne Métropole coloniale, soutenir la lutte des peuples encore sous domination coloniale, s’engager du côté du faible, de l’opprimé… tels sont les actes qui fondent «l’indépendance politique».
S’approprier ses ressources. Créer une monnaie nationale, l’Ouguiya est à la base de l’axe de «l’indépendance économique» qui prend ancrage avec la nationalisation des ressources minières, le lancement d’une politique d’industrialisation.
Renforcer «l’exception mauritanienne» en recentrant l’enracinement culturel du pays. Arabisation du système éducatif, réhabilitation de la vocation «naturelle» de la Mauritanie comme pays de convergence où se côtoient diverses cultures produisant une symbiose humaine de qualité.
La triptyque construite autour de «l’indépendance politique», de «l’indépendance économique» et de «l’indépendance culturelle» devait être à l’origine des «quinze glorieuses» que constituent les premières années du «Projet Mauritanie». Un projet servi par des hommes qui ont fait de l’humilité et de la dignité des valeurs premières.
Tout cela a fini par nous manquer. Pour devenir une sorte d’objection de conscience à tous les acteurs politiques. Ne nous étonnons point devant l’indifférence affichée vis-à-vis de l’époque et de ses hommes, les leaders d’aujourd’hui ont des comptes à régler avec le passé qui les dénude et les décrédibilise. C’est comme ça qu’il faut comprendre l’origine du «meurtre du Père».
Quand il est venu au pouvoir en août 2008, le Président Ould Abdel Aziz s’est empressé de réhabiliter ce temps-là. D’abord en faisant porter le nom du premier président à la plus grande et la plus neuve des avenues de Nouakchott. Ensuite en levant le tabou concernant la période. On a fini par célébrer les hommes et l’époque. L’affichage, des photos sur la même banderole annonçait une nouvelle relation avec le passé qui n’était plus source d’inquiétantes présomptions, mais inspiration pour rebâtir un avenir meilleur et refonder le Projet sur les bases originelles. L’espoir de voir le pays reprendre la construction d’un Etat libéré des pesanteurs sociales d’antan, de le voir promouvoir la citoyenneté par l’émancipation des Hommes et de cultiver l’unité dans la diversité, cet espoir est toujours à entretenir dans un pays où les énergies sont bouffées par «la politique politicienne».

Dix ans après le décès de Moktar Ould Daddah, nous avons encore besoin de nous remémorer les valeurs qui ont fondé la Mauritanie qui a fini par devenir ce qu’elle est aujourd’hui. Pour nous-mêmes et pour le pays.