Nous
avons tous tendance à magnifier le passé pour en faire l’objet de nos
lamentations, de nos regrets. Les Hassanes de chez nous disent que ce qui
empêchent les Marabouts de dominer le Monde, «c’est le fait de ressasser continuellement le passé». En fait, à
force de ruminer le passé, il finit par perdre toute valeur «nutritive». Il devient juste un morceau
de tissu qui a perdu toutes ses couleurs et sa consistance à force d’être mâché
et remâché.
Dans
l’une de ses célèbres correspondances aux illustres personnages du passé, Habib
Ould Mahfoud disait que «le seul mérite
du passé est qu’il est passé». Soit.
Le
passé sert à éclairer le présent, à mieux l’asseoir en l’expliquant. Encore
faut-il assumer son passé. Ce qui n’est pas le cas des Mauritaniens qui
refusent de regarder en face ce passé fait AUSSI de razzias, de justifications
de l’arbitraire, d’inégalités, d’injustices perpétrées par les uns et les
autres, d’indignités…, et pas seulement de grandeurs édulcorées, de courage, d’abnégation,
de piété, de ferveur religieuse… Le passé appartient aux classes dominantes qui
ont souvent exercé leurs pouvoirs sans se soucier des conditions des plus
faibles, sans même respecter les règles édictées par l’Islam, religion au nom
de laquelle s’exerçait une part de cette domination : pour beaucoup, l’état
de subordination allait de soi parce qu’il s’agissait d’un ordre céleste qu’il
ne fallait pas déranger.
Les
valeurs nées de cet ordre-là ne sont pas forcément les meilleures. Les plus
nobles d’entre elles n’ont jamais été respectées par la société. D’où notre
tendance à toujours enfreindre les lois et règlements. Dans notre entendement,
les lois, qu’elles découlent du Livre Saint, de l’exercice des hommes et de
leur Morale, ces lois ne sont pas faites pour être respectées. Maximes et
sagesses restent de l’ordre de la légende.
Quand
survient l’Etat moderne, ce fut une chance pour repartir sur de nouvelles
bases. Celles qui consacrent la citoyenneté et l’Etat de droit. Qui dit «citoyenneté» dit égalité entre tous les
habitants du pays. Qui dit «Etat de droit»
dit justice dans l’exercice quotidien du pouvoir, sécurité du citoyen, préservation
de sa liberté, régulation des rapports entre ses citoyens, égalité de
traitement devant les Institutions, élimination de tous les privilèges liés à
la naissance et/ou ceux indus, égalité devant la redistribution des ressources
communes…
Nous
n’avons peut-être pas voulu de cet Etat qui a fait partie du legs colonial. Mais
avons-nous jamais voulu de la colonisation ? des migrations de pays en
pays ? de tribalisation ? avons-nous jamais voulu être ce que nous
avons fini par être ?
En
fait, nous ne sommes que le produit d’une conjugaison se faisant dans tous les
temps et à tous les modes. Celle qui a fait de nous un mélange d’africanité
(noire et berbère), d’arabité et probablement d’européanité. Que l’on soit Arabe
(Bidhâne), Peuls, Soninké ou Wolof, on est ce produit-là. Et rien d’autre que l’Etat
de droit moderne ne peut nous unir. Un Etat qui a pour ambition de nous réunir
en une somme d’individus égaux et respectueux les uns des autres. Un Etat capable
– et voulant – nous émanciper de l’ordre inique qui a régi notre vie et nos
rapports jusqu’à présent. Le Pacte fondamental est celui-là. Rien d’autre.