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lundi 10 juin 2013

Pourquoi on s’oppose les uns aux autres ?

Du temps de feu Moktar Ould Daddah, l’opposition à son régime avait pu épouser les lignes de fracture entre un axe «conservateur» et «traditionnaliste», et un autre «révolutionnaire» et «progressiste»… Tous ces qualificatifs sont produits par l’idéologie dominante de l’époque qui a imposé cette terminologie pour décrire le(s) mouvement(s) de jeunes contestataires dans leur dynamique d’opposition à «une vieille garde» composée pour l’essentiel de notables et fils de notables formés à l’école coloniale. Un «conflit de génération» avorté et dont on a encore besoin pour asseoir une Mauritanie en rupture avec les vieilles pratiques.
Dans sa revendication culturelle (arabisation du système éducatif), ou économique (nationalisation des richesses), ou encore politique (révision des accords de défense avec la France et sortie du giron français), cette opposition a été cependant structurée autour d’un discours définissant des objectifs et des orientations claires.
Pendant la première période militaire, celle de Ould Haidalla notamment, l’opposition entre une aile du pouvoir qui veut ancrer la Mauritanie dans une dynamique qui commence par l’application (abusive) de la Chari’a et finit par l’embrigadement des jeunes dans les Structures d’éducation de masses (SEM) en passant par la remise en cause des fondamentaux stratégiques de la Mauritanie (opposition virulente au Maroc qui se traduit par la confrontation voulue et par la proximité avec le Polisario). C’est bien ce positionnement qui a ses soubassements idéologiques, qui a déterminé la ligne de fracture entre le pouvoir militaire de cette période et son opposition.
Du temps de Ould Taya, deux périodes sont à distinguer. La première est celle qui le voit contesté par les groupuscules politiques l’un après l’autre. C’est la période où le régime se cherche «idéologiquement» avant de verser, par carence d’idées, dans l’option raciste dont il va user et abuser. Si bien que la ligne de fracture est bien celle qui épouse l’appartenance ethnique… Jusqu’en 1991 (fin)… quand la libéralisation politique est décidée et que les partis naissent.
Nous allons avoir une courte transition où la ligne de fracture, celle qui permet de distinguer entre le pouvoir et son opposition et qui donne à cette dernière sa sève nourricière, est bien celle du changement. La rupture avec le passé est une revendication partagée. Si partagée que le Président sortant choisit comme slogan de campagne : «le changement dans la stabilité». C’était seulement le temps d’une courte transition…
A partir de sa stabilisation, le pouvoir retrouve ses vieux réflexes de «diviseur». Il réussit à établir de multiples confrontations qui affaiblissent ses opposants qu’incarne à l’époque Ahmed Ould Daddah, principal challenger de Ould Taya lors de l’élection de janvier 1992. En plus du clivage ethnique, le PRDS nourrit une opposition (sans fondement réel) entre l’Est et le Sud (Echarg/El Guibla). Les lignes de fractures sont grossièrement celles-là, même si parmi les soutiens de Ould Taya, on compte une majorité de l’élite originaire du Sud.
De tous temps donc, la ligne de démarcation entre l’opposition et le pouvoir en Mauritanie a été claire plus ou moins. Avec de temps en temps des fondements idéologiques qui la rendent saine, visible et lisible. Mais qu’en est-il aujourd’hui ?
Quelle est la ligne de démarcation entre Ould Abdel Aziz et son opposition ? Où se situe la ligne de fracture entre les deux protagonistes ?
Nous allons évacuer les raisons idéologiques pour une justification simple : aucun positionnement actuel n’est dicté par un facteur idéologique, aucun parti ne tire son approche d’un fondement idéologique qui lui dicte de travailler pour un projet de société plutôt que pour un autre, aucun leader ne respecte une ligne de conduite qui impose à l‘observateur de prendre en compte ses inspirations idéologiques.
Faisons de même avec les cursus qui auraient pu dicter une conduite rigide plutôt que molle (ou vice-versa). Le parcours chaotique de tout le monde aurait pu mener n’importe où, y compris au positionnement illisible actuel. Alors ?
Nous restera la raison du cœur, celle que la Raison ignore : la haine… nourrie par la rancune. C’est seulement elle qui explique la violence verbale, les dérives et les dérèglements de notre monde politique.
Quand ils ont énuméré les griefs qu’ils retiennent contre Ould Abdel Aziz, ses détracteurs ne peuvent s’empêcher de citer «ses coups d’Etat répétés». Et de renchérir, comme s’il s’agissait d’un crime qu’ils ont toujours dénoncé, «le coup d’Etat du 3 août 2005, celui du 6 août 2008 contre un Président élu».
Dans le premier cas, personne ne semblait regretter un régime incapable de bien pour ce pays dont il a accéléré le sac en corrompant son élite, en divisant son peuple et en y cultivant un système de contre-valeurs qui nous handicapera encore longtemps.
Le coup d’Etat du 6 août 2008 est une entreprise collective : entre ceux des politiques qui l’ont préparé, accompagné et béni, et ceux qui lui ont créé les conditions objectives de légitimation, les militaires n’ont été qu’un instrument, tout comme le Président élu qui n’a pas pu éviter la suite des évènements.
En tout état de cause quand on voit les opposants d’aujourd’hui, les plus visibles, les plus entreprenants parmi eux, ceux qui ont finalement «noyé» le canal historique opposant, on est surpris de voir qu’il s’agit, grosso modo, de ceux qui ont perdu le pouvoir en 2005 ou de ceux qui l’ont perdu en 2008. On ne peut s’empêcher alors de se dire que la rancune est la mère nourricière des antagonismes politiques auxquels nous assistons. On comprend alors l’aigreur et la verve… seulement… seulement…

…Victor Hugo a dit quelque part : «la rancune est une dépense improductive». On comprend alors pourquoi toutes les gesticulations ne donnent rien. Parce qu’elles n’arrivent pas à être l’expression d’un projet réalisable et porteur et qu’elles restent du domaine de l’irraisonné et de l’épidermique.