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dimanche 28 avril 2013

Corporatisme vs particularisme


Le mouvement des dockers de la semaine passée, puis l’heureux dénouement (voir intérieur du journal) de l’affaire viennent nous rappeler que le corporatisme est l’une des voies de sortie du carcan traditionnaliste qui nous confine dans une logique tribale et sectaire.
Il y a un an, deux ans, trois ans…, tout mouvement de contestation est manipulée de l’intérieur par voie tribale, ethnique ou politique partisane. C’est, je pense, l’une des raisons, des échecs successifs des mouvements revendicatifs. Cela finissait fatalement par l’intervention de segments extérieurs à la corporation qui cherchent à diluer la contestation dans des démarches individuelles visant telle ou telle catégorie.
Les notables sont mobilisés pour amadouer ceux qui répondent à l’appel des leurs. Les chefs de partis politiques et ceux des syndicats interviennent auprès de leurs militants. Les intermédiaires se multiplient parce qu’ils attendent une contrepartie. Et se perdent les intérêts des concernés en cours de route…
Le mouvement de grève entamé par les dockers n’est pas le premier. Mais il a pris cette fois-ci, le tournant qu’il fallait. Avec des négociations ouvertes avec les autorités, une expression claire des doléances, un refus de la manipulation politicienne et un dénouement avec la satisfaction de certaines doléances.
Cela nous enseigne - à tous, partis, syndicats, Etat…- qu’il y a quelque chose de fondamentalement changé dans ce pays. Notamment dans l’exercice de la liberté d’expression. Désormais, vous avez des journaliers qui manifestent en tant que tels, les personnels du PNP (le fameux personnel non permanent), les dockers… Avant, chacun cherchait à résoudre son problème en le posant au cousin introduit dans le système, tous attendait un «moment favorable», une «opportunité» de se faire connaitre par un syndicat ou un parti. Aujourd’hui, le mouvement de prise en charge de soi apparait dans chaque corporation. Tant mieux.
Il vaut toujours mieux à l’autorité publique de traiter, non pas avec des individus ou des syndicats qui sont loin de la réalité de terrain, qu’avec les représentants dûment mandatés par les concernés. Les interlocuteurs auront toujours une meilleure vision, une plus grande disponibilité et une assurance plus forte que tous les intermédiaires qui pourront se présenter. Il s’agira alors de définir les demandes qui pourront être satisfaites et d’éliminer celles qui ne le peuvent pas. D’un commun accord.
Ce sont en fait ces corporations qui donneront une nouvelle classe de dirigeants syndicaux et même politiques (pourquoi pas ?), mieux outillés et plus représentatifs de la classe laborieuse, pour ne pas utiliser un terme qui porte à équivoque (classe ouvrière).
Cette montée du corporatisme - dans son sens le plus originel, celui qui indique qu’il s’agit d’une communauté d’intérêt et non de sang ou d’association maffieuse – est aussi à la base de la construction citoyenne de l’individu. Parce qu’elle est une forme d’émancipation de l’individu par rapport au carcan de domination sociale. En se libérant, l’individu mauritanien, prend conscience de lui-même, de ses droits et accède à l’échelon supérieur qui est celui de voir se développer la volonté d’acquérir et de défendre ces droits. Ici nait la citoyenneté.
Nous n’avons donc pas à nous plaindre. Nous autres journalistes devons accompagner ce mouvement qui est un pas sur la voie de la démocratisation de la vie sociale. L’Etat doit y voir la possibilité pour lui de s’affranchir du diktat des manigances politiciennes. Comme c’est l’occasion de soigner cette image négative qui en fait un instrument de domination aux mains du plus fort. Les acteurs politiques et syndicaux doivent éviter toute velléité de vouloir instrumentaliser ces mouvements revendicatifs…
Toute l’élite doit regarder cela comme mouvement «naturel», salvateur dans la mesure où il nous sort d’une logique particulariste et qu’il nous pousse vers plus de liberté et de solidarité sur des bases plus saines et plus cohérentes.
Dans «La mort heureuse», Albert Camus nous apprend que «ce sont les travailleurs manuels et intellectuels qui ont donné corps à la liberté, et qui l’ont fait avancer dans le monde jusqu’à ce qu’elle devienne le principe même de notre pensée, l’air dont nous ne pouvons plus nous passer, que nous respirons sans y prendre garde, jusqu’au moment où, privés de lui, nous nous sentons mourir».
Les manifestations de chômeurs, de «journaliers», de PNP, de retraités, de dockers… sont plutôt un bon signe de santé sociale et de vitalité… «démocratique».