Je
ne sais pas depuis combien de temps je ne suis pas allé à Kaédi. Apparemment suffisamment
pour donner le temps à la ville de se développer. Des routes reliant les
principaux quartiers de la ville, de belles bâtisses poussant ça et là, une
extension suivant les principaux axes qui mènent au centre-ville… Rien ou
presque n’est plus comme avant.
Seules
tâches sur ce tableau d’une ville qui change positivement : les poubelles
à l’entrée de la ville et la présence d’une centaine d’habitations précaires en
plein centre-ville à l’entrée de l’aéroport.
Vision
apocalyptique d’une misère d’autant plus scandaleuse qu’elle est un artifice
trouvé par les populations pour faire pression sur une administration qui a
laissé faire. Au cours du dernier hivernage, la Kebba de Kaédi avait été inondée,
au moment où le plan de restructuration de la ville venait d’être mis en œuvre.
L’occasion pour les populations de se redéployer ailleurs pour former une nouvelle
Kebba et une nouvelle Gazra. L’administration avait proposé comme solution
provisoire, aux victimes des inondations de s’installer dans des cours non construites
appartenant à des privés.
Environ
70 familles au début. Quand il s’est agi de leur trouver une solution, le
nombre a été multiplié par quatre. Du coup, d’autres populations sont parties s’installer
derrière l’aéroport, constituant là-bas une gazra du nom de Tenzah (mon œil !).
L’administration a fait marche arrière parce qu’elle ne pouvait pas trouver de
solutions à tous. Elle a demandé au ministère de l’urbanisme de reprendre le
programme déjà clôturé. Celui-ci a promis de «faire quelque chose». Ould
Cheikh Sidiya est parti sans avoir fait quoi que ce soit pour cette population.
Il a été remplacé par Ba Yahya, un ressortissant de Kaédi. Les populations
espèrent qu’il se souviendra d’elles et qu’il sera plus indulgent vis-à-vis de
ses frères d’ici…
Le
soir, une promenade s’impose. Sur quelques murs des annonces de fêtes de jeunes
parce qu’à Kaédi les esprits libres existent encore et les traditions festives
ont survécu au despotisme de la pensée obscurantiste qui n’apporte que
tristesses. Il y a maintenant de nombreux commerces modernes. Beaucoup d’associations
dont on voit les devantures…
«Pharmacie
Sanhadja». J’y entre plus pour savoir pourquoi le choix du nom. «Parce
que je suis un Sanhadja», me rétorque le très sympathique propriétaire qui
est lui-même derrière le comptoir. Il me reconnait et la discussion est vite
engagée. Au-dessus de sa tête, un calendrier dédié à la mémoire du Docteur
Abdallah Cheitou. Je me souviens de cette famille libanaise établie à Kaédi et
dont les enfants sont de véritables kaédiens.
«A
son enterrement, nous avons été nombreux. Nous considérons cette famille comme
faisant partie des nôtres. Lui a tenu à être enterré dans le cimetière de Kaédi…»
Et puis on parle de la bonne situation dans la ville qui est un véritable
creuset, une image de ce que la Mauritanie devait être.
Je
suis déjà dans le marché central. Ici, ça grouille de monde. Le fleuve n’est
pas loin. On entend toutes les langues de l’espace qui est le nôtre :
Hassaniya, Pulaar, Soninké et même Wolof. Dans ce melting-pot, la promiscuité
est bien vécue. Elle participe d’ailleurs de l’accomplissement de soi et de l’harmonie
communautaire.
Je
m’en vais rendre visite à la famille de Hadia Diagana décédé il y a peu. Il s’agit
d’une grande personnalité du village de Gataga, le cœur de cette ville. Même si
les goudrons ont traversé le village de part en part, il subsiste un air de
vieux centre urbain médiéval. Comme ce qu’on imagine dans le Wagadu historique.
J’arrive
chez des gens humbles et rigoureux. Je n’ai pas besoin de traducteur pour faire
passer le message de solidarité qui est le mien. Ni de discours pour louer ce
personnage plein de vie, toujours disponible, très altruiste, patriote et
ouvert.
En
ce vendredi, cette visite de Gataga ne voudrait rien dire si je ne passe pas
chez l’Imam de la grande mosquée, celle qui date de près de deux siècles. Reconstruite
par des mécènes dont justement Hadia, la mosquée tranche avec son
environnement. Un édifice moderne dont l’architecture allie les goûts de l’époque
des épopées Mandingue et Almoravide. Avec un espace public tout carrelé.
L’Imam
est celui-là même qui avait dirigé la prière du pardon quand le Président Ould
Abdel Aziz avait demandé pardon aux victimes et à leurs ayant-droits des années
de plomb. Au nom de la Nation mauritanienne. En ce jour sacré, l’Imam fait
quelques prières avec la voix des prêches des grands jours.
Une visite guidée qui me permet de passer à côté de la
maison de l’actuel maire, Sow Moussa dit Tchombé. De tous côtés de la demeure,
des dépôts d’ordures ménagères. Je vous ai tellement entretenu de la faillite
des mairies dans notre pays que je vais m’abstenir d’en parler lus que ça. Je reviendrai
cependant sur la jeunesse et sur sa réaction face à l’incompétence des anciens.