C’est
quand même surprenant de voir les Mauritaniens fêter cette fête qui vient d’ailleurs.
Des radios privées ont même essayé de célébrer la «journée de l’amour»
en invitant leurs auditeurs à être …de la fête. Avec notamment des déclarations
d’amour enflammées. D’autres Mauritaniens se sont contentés d’occuper leur
journée du 14 à l’internet, en animant les réseaux sociaux par le thème de l’amour.
J’ai
entendu de nombreuses personnes dénoncer cette célébration au nom d’une
douteuse «préservation de notre culture». Certains n’ont pas hésité à
demander que des mesures coercitives soient prises à l’encontre des médias
coupables. Une campagne a été lancée aux abords des mosquées. Je ne sais pas si
elle a été développée à l’intérieur, mais très probablement. On se souvient que
les souhaits de «bonne année» marquant le début de l’année ont plus
irrité certains Imams que l’arbitraire exercé au quotidien dans nos rues et
dans nos foyers. Toute expression de la joie est en fait un danger pour l’obscurantisme.
Et c’est en cela que cette célébration de la Saint-Valentin m’a intéressée.
J’y
ai vu un acte de résistance à la morosité ambiante. Celle qui tisse, depuis
deux décennies, une toile dans nos esprits.
J’ai
souvent rappelé ce que m’avait dit un ami, quelque peu déséquilibré par les
aléas de la vie et auquel j’ai rendu visite alors qu’il était en traitement à l’hôpital
psychiatrique : «Notre grand problème est le recul de la joie dans
notre pays…».
Oui,
la constipation ambiante a emporté toutes les expressions de bonheur et de plénitude.
Avec elles, toutes les soifs d’être bien dans sa peau, de voir loin pour soi et
pour son prochain, toutes les faims de meilleurs lendemains… Nous avons perdu
espoir parce que nous ne savons plus rire, parce que nous ne cherchons plus à
partager le bonheur de nous amuser, d’être gais.
Nous
sommes dans un pays où faire une vanne, la plus élémentaire qui soit, où s’émerveiller
devant une œuvre d’art prend l’allure d’un acte fondateur, un acte
révolutionnaire. Les occasions de fête célébrées ressemblent à des actes de
résistance. L’obscurantisme rampant nous obligeant depuis quelques décennies à
contenir de ce qui peut faire le bonheur de l’homme : se gausser de sa
condition et libérer son imaginaire.
Du
coup, fêter la Saint-Valentin, fut-elle une fête étrangère à notre culture,
devient un acte de courage. Qu’il faut saluer comme tout acte de courage dans
la vie.