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lundi 3 décembre 2012

Evènements 90/91 ? Dictature ?

Chaque fois que l’on croit que l’on a tout dit, tout écrit sur les évènements qui ont endeuillé le pays dans les années 89, 90 et 91, quelqu’un nous tire de notre inattention passagère pour nous rappeler les douleurs du passé. Soit en tentant d’instrumentaliser le Mal, soit en essayant de le nier. Les deux attitudes revenant à remuer le couteau dans la plaie…
Hier sur la radio privée Nouakchott info, j’ai entendu le nouveau président de la Coordination de l’Opposition démocratique (COD) Ahmed Ould Sidi Baba dire qu’il n’avait rien su des purges de 1990/91. Cela retient l’attention, parce qu’il ne s’agit pas d’un citoyen lambda, surtout à l’époque des faits. Ancien Maire d’Atar, président du premier parti né après la libéralisation de 91 (RDU : rassemblement pour la démocratie et l’unité), ancien ministre sous Mokhtar Ould Daddah, grand intellectuel, homme d’affaires très averti, Ahmed Ould Sidi Baba était un élément central du système d’alors. Incontournable dans le jeu politique, il a été longtemps une des pièces fondamentales de l’échiquier national. Comment peut-il avoir ignoré une entreprise qui aura duré quelques mois et qui a abouti à l’extermination de quelques dizaines de Mauritaniens ?
Avec feu Habib, nous avions fait une enquête sur les évènements dès juillet 1991. Ce qui a valu à Mauritanie-Demain, le journal où nous étions, sa première saisie. Cette saisie intervenait au lendemain de la promulgation de la loi instituant la liberté de presse. L’acte est en lui-même un présage sur ce qui allait suivre. C’est une autre histoire que nous effleurons plus loin…
A l’époque – juillet 91 – beaucoup de voix s’étaient élevées pour dénoncer les exactions. Celles d’abord des mouvements politiques – clandestins à l’époque -, le MND (mouvement national démocratique) ou le MDI (mouvement des démocrates indépendants) qui ont publié des tracts et dont des éléments sont allés en prison, d’autres sont allés en exil à la suite de la dénonciation de ces exactions.
Celles ensuite de quelques figures indépendantes qui ont signé des pétitions pour mettre en garde et/ou dénoncer les évènements en cours. Le Maire Sid’Ahmed Habott, les sociologues Abdel Wedoud Ould Cheikh et Cheikh Saadbouh Kamara, l’ancien ministre Eli Ould Allaf… étaient de ceux-là.
Les enquêtes de presse viendront éclairer l’opinion publique à partir de 1991, avec donc ce dossier de M-D intitulé «Arabes-négro-africains : la fin d’un mariage de raison», puis avec Al Bayane qui avait été le premier à «déterrer» les fosses communes de Sory Malé («Sory Malé : la terre accuse» dans Al Bayane)…
Dès mars 1991, tout était presque public. Au début, la thèse du coup d’Etat «ethnique» a pris dans l’opinion publique, mais très tôt on a compris qu’il s’agissait d’un prétexte. On en a discuté dans les salons, dans la rue, dans les journaux à l’extérieur, dans les documents politiques et même dans les mosquées grâce notamment à un Erudit hors normes comme Limam Bouddah Ould Bouçeyri (qui en a d’ailleurs parlé dans sa khoutba du fitr d’avril 91, en présence du Président Ould Taya).
On ne peut pas croire qu’un homme du rang de Ould Sidi Baba pouvait ignorer ce qui se passait et qui semblait menacer le régime auquel il appartenait… difficile à croire…
«Il n’y a rien à tirer d’un régime dictatorial, aucun dialogue ne peut aboutir avec ce régime…» C’est ce que le nouveau chef de la COD a dit pour justifier le rejet de dialogue avec le régime de Ould Abdel Aziz… C’est quand même Ahmed Ould Sidi Baba, chef incontesté du RDU, qui avait poussé à un forum qui réunissait les partis d’opposition et ceux de la Majorité dont il était le principal animateur. «Forum», parce qu’on ne pouvait pas parler de dialogue quand le Président de l’époque refusait de recevoir ou d’envisager une rencontre avec les véritables chefs de l’opposition.
Quand on a espéré une quelconque ouverture de Ould Taya, je ne vois pas de qui on peut désespérer. Le régime de la dictature qui a ensanglanté le pays, qui a pillé le pays, qui a corrompu le pays et la société, qui a détruit les fondements de l’Etat dans le pays, qui a institué le système de contrevaleurs qui pèsera encore longtemps sur ce qui reste du pays… Quand on a discuté avec cette dictature-là, quand on a composé avec cette dictature-là, on ne doit rien refuser après…