Ce n’est pas un pays en crise qui attend Ould Abdel Aziz quand il
reviendra, très probablement dans une semaine. C’est un pays secoué par des
perspectives sans précédent, celle d’avoir risqué de voir le Président en
exercice mourir, d’assister ensuite à une absence physique imprévue par les
dispositifs constitutionnels, celle enfin de la survie d’un système encore très
jeune.
Balle perdue ou dommage collatéral d’un système sécuritaire en
alerte, la balle qui a transpercé le flanc du Président Ould Abdel Aziz le 13
octobre dernier, a failli coûter cher au pays. On taira les manquements du
jeune officier qui n’avait absolument rien à faire là où il était et comme il
était. On les mettra sur le compte des dérèglements de l’Univers quand le Destin
frappe. Mais on ne doit s’empêcher d’en tirer les leçons qu’il faut.
La Mauritanie est assez fragile pour dépendre de la vie d’un homme.
Et cet homme n’a pas le droit de mettre sa vie en danger parce que l’existence
d’une Nation en dépend. Ce n’est pas le propre à Ould Abdel Aziz, c’est l’une des
constantes de ces Etats toujours en construction et où la disparition du chef
peut être synonyme de grandes secousses. «Tir ami» certes, mais tir qui doit
nous permettre de changer notre perception de la sécurité et notre rapport aux
exigences de cette sécurité. Quand Ould Abdel Aziz reviendra, c’est d’abord une
profonde mutation de l’homme dans ses rapports avec la fonction qui l’attend.
C’est un pays en mal – pas en crise – mais en mal. En mal d’élections
et de consensus. Les législatives et les municipales sont en retard d’un an. Qu’importe
les causes, si l’essentiel est de les organiser quand même et au plus vite. Si les
organiser demande un minimum de convergence entre les acteurs politiques. Et si
justement l’organisation de telles élections peut être l’occasion d’entrer dans
de nouvelles perspectives de dialogue qui engloberait l’ensemble de ces acteurs.
Il suffira de faire jouer à la CENI le rôle qui est le sien :
l’appareil pas seulement technique mais aussi politique qui a en charge de
superviser, de bout en bout, les opérations électorales. C’est à la CENI d’écouter
les partis politiques pour savoir dans quelles conditions ils participeraient
et quelles exigences il faudrait pour garantir la régularité et la sincérité
des scrutins.
En parallèle, Ould Abdel Aziz devrait procéder à un remaniement du
gouvernement qui permettrait d’élargir sa base «d’embauche» vers des milieux
autres que ceux qui lui sont inconditionnels. Ce remaniement devra
obligatoirement toucher les ministères de l’intérieur et de la justice. Au lendemain
de la mise en œuvre des accords avec la CAP (coordination pour une alternance
pacifique, partis ayant participé au dialogue) et à la veille de la première
élection fruit de ce dialogue, Ould Abdel Aziz enverrait un excellent message
en désignant de nouveaux visages capables de traduire les prédispositions du
pouvoir à s’ouvrir d’abord sur les autres pans de la société politique, à jouer
ensuite franc jeu. La présence d’opposants aux postes de ministres de l’intérieur,
de la communication, des finances, de la défense… lors des élections en juillet
2009 est une heureuse expérience à rééditer. Sinon à imiter.
Pas besoin de gouvernement d’union nationale qui doit être le
dernier recours dans un processus de confrontations paralysant le pays. Qu’on
le veuille ou non, le pays, même en l’absence de Ould Abdel Aziz qu’on disait
pourtant «omnipotent», marche à la normale. Rien de tout ce qui peut constituer
un risque de dérive n’a affleuré à la surface. Le Premier ministre a assuré en
l’absence du chef. Et sur le plan sécuritaire, le dispositif n’a donné aucun
signe de faiblesse ou de dysfonctionnement. Si bien que le système qu’on disait
pourtant inexistant encore, a fait ses preuves.
Une blessure par balle guérit physiquement, mais le choc qu’elle
produit est grand. Elle peut être le déclic, l’électrochoc dont on avait besoin
pour nous résoudre – enfin – à entreprendre et brutalement les réformes
profondes dont le pays a besoin pour assurer les refondations (re)commencées il
y a peu.
N.B: "Je t'aime... tu es parfait... change!", une pièce qui a eu du succès à Broadway et à Avignon.