Il
s’appelait Hacen Ould Hadih. Un jeune délinquant de Nouakchott arrêté il y a
quelques mois et attendant son procès dans une affaire de vol. à la fleur de l’âge,
le jeune prisonnier ne manquait de punch et …d’orgueil selon ses codétenus que
j’ai eu à entretenir. Il avait demandé à un avocat de l’assister pour avoir une
liberté provisoire. Après âpres négociations, un prix a été fixé par les deux
hommes. Mais, prudent, le prisonnier avait exigé que l’argent soit remis par le
régisseur de la prison qui servirait ainsi de garantie morale, des avocats
ayant abusé de la confiance de leurs clients qui n’ont d’autre recours que
celui-là.
L’attente
commença à durer. Perte de confiance. Le prisonnier décide d’interpeller le
régisseur. Celui-ci déclare que parce qu’il avait remis l’argent à l’avocat, il
ne se trouvait nullement concerné par l’affaire. Clash. Le jeune déborde et
insulte le régisseur qui demande aux gardes de le mettre en isolement en
attendant de le punir le soir même.
C’est
une tradition dans cette prison de Dar Naim. Quand les prisonniers «débordent»,
ils sont mis dans des cellules d’isolement pour faire l’objet ensuite de
représailles. Quand tout le monde aura dormi (ou fait semblant), ils sont
sortis dans la cour et battus un à un par les gardes. L’exercice de la violence
en dehors de toutes les règles pénitentiaires. Ici c’est la loi de la horde des
gardes qui fait office de justice, non celle du droit et du respect des droits
des prisonniers.
Dans
la nuit du 30 septembre au 1er octobre, Hacen se retrouve avec trois
autres codétenus. Le premier est un évadé, repris et qui devait être puni pour
son évasion. Le second était accusé d’avoir violé un compagnon de cellule. Ces deux-là
n’opposent aucune résistance aux gardes déchainés. Hacen, par orgueil sans
doute, mais aussi par refus de l’injustice, résiste. Il a la force pour cela. Les
gardes sont de plus en plus nombreux et de plus en plus violent. Un coup de
trop et il meurt dans la cour où il a été battu…
La
mort de Hacen n’est pas un fait divers mais un fait (au sens de phénomène) de
société où toutes les failles du système pénitentiaire apparaissent. De l’avocat
indélicat, au régisseur irresponsable, au garde bête et méchant, à l’administrateur
incompétent… tout y est.
Quand
la prison de Dar Naim a été construite, on avait cru qu’un nouvel ordre allait
voir le jour. Les autorités avaient même élaboré une ordonnance portant créant
statut d’un corps spécialisé dans la surveillance pénitentiaire. Il s’agissait
de former des gens qui seront chargé de gérer l’intérieur des prisons. Les former
pour les doter d’un savoir académique, d’une force psychologique, d’une éthique
qui leur permettrait de respecter les droits des prisonniers et de les traiter,
non pas comme des «choses» - je préfère cela à «animaux» qui méritent un
respect aussi -, mais des humains. Je sais qu’un à un certain moment la
coopération algérienne avait proposé de former les éléments de ce corps. Si ce
corps voyait le jour, les gardes resteraient à l’extérieur des prisons, eux qui
ont été formés pour le maintien de l’ordre et la répression des manifestations.
La gestion pénitentiaire n’a rien à voir avec le maintien de l’ordre. Elle demande
des compétences particulières et une éthique humaniste.
On
peut se réjouir de la réaction des pouvoirs publics. L’impunité en la matière
ne doit pas exister. Mais ce n’est pas suffisant de traduire quelques gardes
devant la justice, il faut que les sanctions administratives tombent. Et vite. Pour
dire qu’il n’est plus question de laisser faire en matière d’exactions.
Ce
n’est pas suffisant aussi parce qu’il faut réformer au plus vite le système
pourri par la mauvaise gestion. Il faut savoir que la régie de l’alimentation
des prisons est la seule qui n’est pas conditionnée par l’aval d’Errachad. C’est
bien sur cette régie que les ponctions sont opérées par les premiers
responsables du ministère. C’est sur ce chapitre qu’on pompe l’argent public. On
me dit d’ailleurs que la ration quotidienne est passée de 500UM/par jour et par
prisonnier à 300. C’est déjà misérable, ce l’est encore plus. On se souvient
des détournements décelés par l’IGE dans l’administration pénitentiaire, des
millions évaporés, détournés par des administrateurs véreux. Qu’est-ce qui a
été fait pour corriger le système qui reste ouvert à toutes les malversations ?
Ce
qui vient de se passer dans la prison de Dar Naim n’est que la partie visible d’un
mal profond. Dont une autre des expressions est la situation dans la prison des
femmes de Nouakchott qui se transforme, la nuit tombée, en un grand lupanar au
vu et au su des hiérarchies judiciaires (ministère de la justice) et
sécuritaires (Garde nationale).
N.B : J’ai lu quelque part que
«le fait divers fait diversion»,
selon les termes du sociologue français Pierre Bourdieu. La bavure de Dar Naim
ne doit pas divertir de la vraie problématique des prisons en Mauritanie. Au
contraire, elle interpelle pour nous rappeler la perversité d’un système que
nous ne dénonçons pas assez.