C’est l’une de ces histoires qui servent à stigmatiser les éleveurs
confrontés à la sécheresse et qui voient leurs cheptels décimés, les bêtes
mourir l’une après l’autre, et qui sont dans l’incapacité de «faire quelque
chose».
On raconte ces jours-ci que l’un d’eux s’est rendu en ville après
un long séjour auprès de ses bêtes affamées. Il voulait voir le préfet pour
avoir des rations de plus, certainement le responsable du CSA, le boutiquier
ches lequel il s’approvisionne d’habitude, le cousin influent pour le faire
intervenir, la famille qu’il n’a pas vue depuis deux mois… bref faire beaucoup
de choses et revenir au plus vite auprès de ses bêtes. D’abord allez chez le coiffeur.
Il sentait ses cheveux pousser exagérément et il fallait au plus vite «discipliner
sa tête».
Il entre chez le coiffeur et lui : «écoute, coupe-moi la tête
en attendant que je revienne, je dois impérativement voir le préfet»…
Ici, une digression s’impose à moi. «Couper la tête» est la
traduction directe de «agta’ erraaç» chez les Hassanophones, «tajowo hooré»
chez les Pulaarophones… cela me rappelle une enseigne des années 70 au marché
de la capitale : sur la devanture de son lieu de travail, un coiffeur
guinéen avait écrit : «Ici, Diallo coupeur de tête».
Revenons à notre éleveur qui demande à son coiffeur de lui «couper
la tête» en attendant qu’il revienne. Les accès de folie sont faciles. Ce sont
des moments de déstabilisation mentale qui font dire – ou adopter – une attitude
anormale. On n’a pas besoin de violence forcément pour être dans cet état
psychique d’incohérence dans les actes et les propos.
Je crois que la perte de ce qu’on a de plus cher est l’une des
causes principales de ces moments, on va dire d’incohérence. Cela peut être des
amis, des frères et sœurs, des compagnons de voyage… mais cela est souvent un
bien matériel, un statut, un privilège, une rente, un poste… quelque chose qui
pèse dans votre vie à telle enseigne que vous vous confondez à lui. En le
perdant c’est un peu si vous vous perdiez vous-mêmes…
Les incohérences de notre monde d’aujourd’hui ne
sont-elles pas liées à la perte de quelque chose pour les uns et pour les
autres ?