Il
s’appelle ‘Beyd el Barka – littéralement «l’esclave de la Baraka». Un nom
typique d’esclave de la société Bidhâne traditionnelle. Lui n’a jamais connu la
condition servile franche. Il a vécu libre avec cependant une forte dépendance
vis-à-vis de ceux qui sont supposés avoir été ses maîtres.
Sa
forme rondouillette lui donne l’air d’un diminué mental. «Enveloppé», pour ne
pas dire le mot «gros» qui vexe quelques-uns, ‘Beyd el Barka joue l’homme de
milieu social modeste mais qui est de toutes les discussions. Rien ne lui
échappe : aucun sujet ne lui est vraiment étranger, même s’il essaye d’abord
de jouer l’innocent, l’ignorant qui découvre.
Tout
le monde y trouve son compte. Ceux qui se plaisent encore à vivre les vestiges
d’une aristocratie désuète et anachronique en se faisant servir par un plus
faible sur lequel il est encore possible de déverser son trop plein de
frustrations. Lui qui fait payer au plus fort le service qu’il rend et la
compagnie qu’il propose.
Très
vite on se rend compte qu’un éléphant ça trompe énormément… Quand on fait la
somme de la journée – des discussions et des dépenses -, on se rend facilement
compte que le perdant n’est pas ‘Beyd el Barka qui aura fait passer ses
messages. Son rôle social lui donne le droit de ne pas mâcher ses mots. A chaque
occasion, il aura rappelé combien la situation d’aujourd’hui était à son
avantage, lui le descendant d’esclave qui travaille et produit, qui fait la
politique à ses heures perdues, qui aide ici et là et qui milite pour une
intégration entre anciens maîtres et anciens esclaves. Il ne rate jamais l’occasion
d’amener la discussion autour du sujet, de culpabiliser ses interlocuteurs en
les rendant responsables des fractures qui existent, de provoquer chez eux une
colère qui en dit long sur leur incapacité à s’adapter et à faire face aux
nouvelles règles de la vie.
A
la fin de la journée, si l’on fait les comptes, c’est bien la poche de ‘Beyd el
Barka qui aura été garnie au détriment des autres poches…
J’ai,
dès les premières répliques de ‘Beyd el Barka, compris que j’étais en présence
d’un esprit structuré, d’une personnalité politiquement formée, d’une
intelligence éclairée… Quand il commence à me jouer la même partition que les
autres, je lui dis franchement comment je le perçois. Au début renfrogné, il
finit par éclater de rire. «Tu sais, quand je suis venu à Nouakchott pour la
première fois, je suis allé dans la maison de mes parents Ehl Yessa. C’est
là-bas où je me suis approché de Jemal et de Abderrahmane, des garçons
brillants et très engagés. A l’époque, il y avait le MDI (mouvement des
démocrates indépendants, mouvement de jeunes libéraux des années 80 et 90,
ndlr). Même si j’ai refusé l’engagement politique pour lequel je n’avais pas le
temps, j’ai appris beaucoup de choses de ces jeunes qui espéraient défaire
notre monde. Après, j’ai dû rentrer chez moi. Grâce à mes parents, j’ai eu un
boulot dans une boîte locale qui m’a permis de m’installer parmi les miens, de
les aider à évoluer, à changer…»
C’est,
selon lui, sa manière de participer aux changements sociaux, «à la révolution
qui doit être calme et douce». Discuter, remettre en cause, rassembler,
libérer, émanciper… en douceur.
En
attendant, la préoccupation de ‘Beyd el Barka, en ces jours de visite
présidentielle, c’est de trouver Hacenna Ould Ahmed Lebeid, l’homme d’affaires
envoyé à Foum Legleyta par le parti UPR (union pour la République) pour organiser l’accueil. Notre
homme le cherche, mais l’envoyé est introuvable. Ni la veille, ni le jour-même.
Il
finit par dire, et il a raison de le dire, qu’il ne sait pas quelle est l’utilité
de ces envoyés sur des terrains conquis, à «des populations qui viennent à
Mohamed Ould Abdel Aziz et non à son parti… que de gâchis !»