Le front dunaire se dessine loin à droite. Il se rapproche parfois de la route qu’il occupe de temps en temps. A gauche, ce sont les étendues plates de l’Aftout (Avolle) sur les premiers cinquante kilomètres, de l’Inchiri ensuite. La monotonie des paysages n’est rompue qu’à quelques 45 km de la ville d’Agjawjet (Akjoujt) à l’apparition de Temaagouth, la dernière montagne au sud selon le parler berbère de ces contrées. C’est que la toponymie est le seul lieu de conservation de cette langue qui n’est plus parlée que par des minorités qui s’en cachent d’ailleurs.
Des villages éparpillés sur la route qui ont troqué justement les anciennes appellations pour d’autres, plus arabisés, plus «convenables» à l’air du temps. Ce n’est pas le propre de cette route, mais quelque chose qu’on voit partout en Mauritanie : Bavrayshiya qui devient Dubai, Dhbay’iyaat devenant Al Açmaa, Oumkreye devenant Elbeledou Ettayib… partout…
Et puis Agjawjet (Akjoujt), ville minière qui semble avoir l’âge de la chaîne des Mauritanides dont les affleurements l’entourent. Le plus vieux relief du monde a fini par marquer de son poids cette ville surgie de nulle part. Si l’on excepte quelques trois ou quatre – au plus cinq – maisons bien bâties, on peut facilement oublier que cette ville a vu des milliards de dollars extraits des entrailles de ses montagnes (avec le cuivre et l’or) ; qu’elle a fourni aussi plus de 70% des cadres ayant eu à gérer l’économie nationale soit en tant que hauts fonctionnaires (ministres des finances, de l’économie, des mines, des pêches…, gouverneurs de la Banque Centrale, dirigeants de grands projets, directeur de la SNIM…), soit en tant qu’hommes d’affaires ayant ou non bénéficié de l’époque des «généreux» prêts bancaires. En termes de richesses, l’époque de la prédation devait avoir plutôt bénéficié aux ressortissants de cette région.
La ville a dû son existence aux mines. Elle doit beaucoup à quelques-uns de ses fils qui ont refusé de l’abandonner. On vous cite aisément Maurice Benza qui fut son député, Abeydi Ould Qarrabi qui fut son maire, ses populations laborieuses qui ont tenu sur place malgré l’exode des plus forts, malgré la fermeture des mines dans les années 80 et 90, malgré l’état des routes tout ce temps-là… C’est le lieu de rendre hommage ici à ces dizaines de personnes qui ont continué à fouiller, bêcher pour cultiver une terre de plus en plus ingrate, pour produire quelques carottes, quelques tomates, maintenir en vie une palmeraie qui demandait plus d’efforts chaque guetna…
Yaghref… on comprend ici pourquoi les habitants de l’Adrar ont une longueur d’avance sur les autres habitants de l’espace Bidhâne : la valeur du travail. Ici, on cultive son jardin. Quel qu’en soit le prix. En plein désert, au milieu de nulle part, au loin se dessine déjà le mur du plateau de l’Adrar. Tout le monde semble s’occuper. Les cultures, malgré le déficit pluviométrique, ont été bonnes. C’est ce qu’on vous dit. Les troupeaux de chameaux sont lâchés dans les champs et les réserves fourragères de l’hivernage passé. Une exploitation maximale des dons de Dieu.
Ayn Ehl Taya… même ambiance, celle où le travail est une valeur et non une torture. Il est vrai qu’il y a eu un coup de main heureux, mais n’empêche, le fonds était là. D’ailleurs, comme dit Pasteur (ou Pascal, je ne sais plus) : «le hasard ne favorise que les esprits préparés». L’apport extérieur ne peut vouloir dire quelque chose que si, déjà sur le terrain, existe une volonté de bien faire.