Malgré les performances, on va dire, «macroéconomiques» du pays, malgré les efforts pour l’assainissement de la gestion, malgré les avancées certaines sur ce plan-là, il y a une question qui reste posée : quelle traductions dans la réalité ?
Chacun sa réponse. Moi je voudrai en profiter pour relancer la question des rapports que notre intelligentsia entretient avec notre privé.
La première grande – et heureuse – conséquence de la naissance de l’Ouguiya, a été l’émergence d’une classe d’hommes d’affaires nationaux qui ont, peu à peu, pris la place des entrepreneurs étrangers (français, libanais, sénégalais et autres). Le Gouvernement de Mokhtar Ould Daddah avait développé une politique volontariste en vue de promouvoir la formation de cette classe. Les faisant bénéficier de traitements de faveur (crédits, impôts allégés, priorité dans les marchés…). Ceux qui étaient là se souviennent encore de la floraison de sociétés de constructions, d’import-export, d’industries… En ce temps où l’Appareil d’Etat était (relativement) vertueux, le boom enregistré était d’bord le fait du dynamisme du privé. Avec en prime la création de fortunes nationales importantes.
Vint le temps des calamités qui se termina, aux environs du début des années 90, à une collision entre le privé et le public. Les politiques – hauts cadres, leaders d’opinion mais aussi chefs de tribus – se mettent au service des hommes d’affaires pour brader les ressources nationales. C’est au plus offrant.
Il est facile aujourd’hui de mettre tout sur le dos d’une classe d’affaires qui s’est approprié le pays, où ce qu’il y avait de bien – au sens matériel – dans le pays. Mais l’on oublie le rôle des hauts fonctionnaires véreux qui ont eu trois attitudes étalés sur le temps :
- en se prêtant à la corruption par certains hommes d’affaires, ils vendent biens publics, mobiliers et immobiliers, à des particuliers. Ils ont leurs commissions et font la politique. Pour les autres.
- En entrainant ensuite les hommes d’affaires dans le politique, les amenant à se mettre en avant, à acheter les allégeances quitte à les monnayer plus tard pour le gouvernant. Quand, à l’époque, les hommes d’affaires versent des sommes faramineuses dans le panier de l’action politique, ils sont sûrs de se faire rembourser plus qu’ils ne dépensent à travers marchés de gré à gré, versements, virements, parrainage de nominations… à un certain moment, ce sont des intermédiaires d’affaires qui garantissaient les carrières…
- En s’engageant eux-mêmes dans les affaires. A la fin des années 90 et au début des années 2000, les prédateurs (hauts cadres du pays) avaient déjà leurs affaires qu’ils faisaient vivre à partir de leurs postes de responsabilité. Un ministre, un secrétaire général, un directeur… chacun avait ses fournisseurs, proches parents qui ne sont que des prête-noms. C’est cette concurrence entre le milieu d’affaires (originel) et le milieu d’affaires (affaires) qui est à la source de blocages du milieu des années 2000. C’est certainement l’un des facteurs du coup d’Etat : les ressources se raréfiant, les prédateurs augmentant, la concurrence devenant chaque jour plus aigue. Le système n’a pu supporter les tiraillements et a implosé de l’intérieur…
De cet épisode nous est restée cette suspicion envers les opérateurs économiques nationaux. Propagande aidant, la stigmatisation des hommes d’affaires a été forte. Si bien quand on parle de la fameuse dévaluation de 1992 (octobre), on vilipende d’abord les bénéficiaires (quelques hommes d’affaires) en oubliant l’organisateur principal, l’esprit, le génie de la manigance (Gouverneur de la BCM). Celui qui a appelé les hommes d’affaires, leur a demandé de verser des fonds qui seront transférés au taux d’avant la dévaluation. Lesquels hommes d’affaires pourraient revendre les devises sur le marché et faire des bénéfices inimaginables. Ce qu’ils ont fait. Ce fut la première grande arnaque en Mauritanie. Elle ne sera pas la dernière…
Quoi qu’on dise, il est temps que l’on se dise que sans un privé dynamique, laborieux, inventif, il n’y a pas de développement possible. Que pour ce faire, les autorités ne doivent pas adopter une attitude de destruction systématique de l’activité privée.
Au niveau des impôts, il faut trouver des solutions aux petites et moyennes entreprises pour leur permettre de payer le fisc sans risquer d’être étouffées. On dirait qu’on n’a jamais entendu sous ces contrées l’expression : «trop d’impôts tue l’impôt». Il faut aussi payer ces entreprises à temps pour leur permettre de tourner. Il faut enfin les impliquer intelligemment dans la lutte contre la corruption et la gabegie en général. Rien de mieux qu’un chef d’entreprise pour vous dire où il faut toucher pour mettre fin aux pratiques frauduleuses. Il faut enfin réhabiliter nos promoteurs nationaux et les protéger des promoteurs politiques.