Le 17 décembre 2010, un jeune étudiant, vendeur à la sauvette de son état, est excédé par le racket que lui fait subir une police municipale de plus en plus vorace et violente. Dans un geste, non pas de désespoir mais d’objection de conscience, de rappel à l’ordre pour ses compatriotes, le jeune Mohamed Bouazizi s’immole. C’est le point de départ de «la révolution du jasmin» qui va coûter quelques dizaines de morts (de plus mais pas inutilement).
Le 12 décembre 2011, un nouveau président est élu en Tunisie. Il s’agit de l’opposant historique Moncef Marzouki, ancien président de la Ligue tunisienne des Droits de l’Homme, ancien candidat à la présidentielle et opposant farouche à Ben Ali. C’est qu’en Tunisie, du chemin a été accompli.
Un coup d’Etat constitutionnel a permis, avec la complicité de l’Armée qui a refusé de tirer, d’amener au pouvoir une équipe de réformateurs. Des gens qui ont travaillé avec l’ancien régime sans se salir, ayant donc une expérience de l’exercice du pouvoir et en même temps la capacité de satisfaire quelques-unes des aspirations du moment.
Des élections ont été organisées. Elles visaient à choisir les personnes qui devront faire partie de la Constituante ayant pour mission première d’élaborer une nouvelle Constitution pour le pays. Des élections régulières et qui ont donné vainqueur le parti de la Nahda, celui de la mouvance islamiste modérée.
Dirigé par Rachid Ghannouchi, un idéologue de première heure d’un islamisme modéré et moderniste, le parti Nahda a vite fait de composer avec la réalité politique. En fondant une coalition qui lui permettait non seulement d’exercer convenablement le pouvoir, mais aussi de donner les gages de sa bonne volonté à vouloir impliquer le plus de segments politiques de la société tunisienne. La démarche de Nahda lui a permis de faire passer le cap à la Tunisie, du moins jusqu’à présent.
L’autre jour, j’écrivais ici, que la Tunisie qui a aboli l’esclavage en 1846 (deux ans avant la France), qui a eu sa première Constitution en 1861, cette Tunisie-là avait pris forcément une longueur d’avance sur le reste du monde arabe. Ajouter à cela tout l’héritage bourguibien (de Habib Bourguiba, le premier président tunisien) : la scolarisation systématique, l’émancipation de la femme, la désacralisation de tous les aspects de la vie… bref tout ce qui fait que la Tunisie est restée la contrée arabe la plus ouverte sur l’Occident en particulier, sur l’Autre en général.
Le fait d’avoir Rachid Ghannouchi a certainement joué. Il a su avoir la vision, les mots pour l’exprimer, les actes pour la concrétiser, une vision qui rassure et qui n’exclut pas. Le mouvement islamiste tunisien est en avance sur les autres parce qu’il a un idéologue qui a su le réformer très tôt pour faire de la Modernité un enjeu central. Ce n’est pas le cas de l’Egypte où l’on est resté sur Hassan el Banna et ses disciples du siècle passé. Encore moins des autres pays où l’on se cherche encore.
Une société comme la société tunisienne a d’énormes capacités pour subir les du changement violent, en amortir le choc sans en ressentir les effets dévastateurs. Ce n’est pas le cas de tout le monde. Surtout pas des pays arabes dont les peuples ont été volontairement maintenus dans l’ignorance et en retrait du monde. Surtout pas…