En 1988, je rencontrai Mbarek Ould Beyrouk qui allait devenir l’un des grands écrivains de ce pays. Un véritable talent qui s’exerçait surtout dans l’art de la nouvelle. On s’est rencontré dans les couloirs du journal officiel Chaab (actuel Horizons). A l’époque c’était la SMPI (société mauritanienne de presse et d’impression) qui éditait les deux journaux (en arabe et en français) et faisait tourner l’imprimerie nationale. Il y avait encore des esprits ouverts – et professionnels – comme Hademine Ould Saadi, Yahfdhou Ould Zeine, Cheikh Bekaye…, dans l’encadrement de la société, mais aussi de très bons journalistes dont la plupart seront abrutis par la suite.
Beyrouk avait un projet auquel il m’avait vite associé : celui de créer un journal indépendant. Ce fut Mauritanie-Demain. Dans l’entendement des autorités, le journal devait être un journal «culturel, exclusivement». La une du premier numéro titrait sur : «Quelle démocratie pour nous ?» Sans grande prétention, nous essayions de planter le décor de l’époque.
Rejoint entretemps par Habib Ould Mahfoudh, Lô Gourmo Abdoul, Ba Abou, Me Moulaye El Ghali Ould Moulaye Eli, Idoumou Ould Mohamed Lemine…, le journal se prenait de plus en plus au sérieux. Son deuxième numéro fut consacré à un dossier sur la Charte africaine des Droits de l’Homme et son implication pour notre pays.
Face à la colère des autorités, nous arguions que la question des Droits de l’Homme, tout comme celle de la démocratie, ne relèvent plus de la politique mais des valeurs culturelles universellement admises et promues. Je croyais ce qu’on disait à l’époque. J'y crois toujours.
En ce jour de célébration de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, il y a lieu de le rappeler, ces problématiques ne relèvent plus du seul politique. Elles sont des problématiques qui tournent autour de valeurs, de préceptes qui fondent l’égalité des citoyens, la tolérance, le respect de la différence (acceptons cette redondance), le droit à l’expression de cette différence, le droit à l’exercice de cette différence…
Nos sociétés traditionnelles ont cultivé l’inégalité en fondant le système de groupes, pour éviter d’utiliser le terme «castes» trop connoté. En inféodant une partie de la population à une autre au nom de la naissance, de la force ou de la richesse. Cette inégalité a fondé à son tour l’injustice et l’intolérance.
A sa naissance, l’Etat moderne s’est voulu creuset de citoyenneté. Mais il a vite été récupéré par les mieux lotis au départ, puis il a été dévoyé. D’erreurs en erreurs, nous avons abouti à l’Etat actuel.
Des avancées, il y en a eu depuis cinquante et un ans. Mais pas assez. A peine les fondements d’un Etat de droit.
Les discours ne suffisent pas à refonder une société moderne, égalitaire et juste. Il nous faut aussi des actions fortes. Au niveau de l’école d’abord, de l’Armée, de l’Administration, de toutes les institutions de la République…
Avant d’écrire son célèbre ouvrage «Du contrat social ou Principes du droit politique», Jean-Jacques Rousseau écrivait dans un article de l’Encyclopédie, que «les vices n’appartiennent pas tant à l’homme qu’à l’homme mal gouverné». Ce qu’il explicitait en affirmant : «Il est certain que les peuples sont, à la longue, ce que le gouvernement les fait être».
Nous sommes ce que nos gouvernants ont voulu qu’on soit durant les cinq décennies de l’existence d’une Mauritanie indépendante. Il est temps pour nous de recouvrer une partie de notre souveraineté. Et avec elle une partie de notre ambition pour nous-mêmes et pour notre pays.