Mon ami est un avocat. Cela fait du temps qu’il officie. On peut dire qu’il est très bon, même s’il a toujours tourné en-deçà de ses capacités.
Il y a quelques années, il avait été à Zouératt défendre un accusé dans une affaire de trafic de drogue. L’homme qu’il devait défendre avait loué une chambre chez un éleveur de la région pour y entreposer des sacs. Le propriétaire était l’un de ces «autochtones» connus pour leur «naturel» - leur «blancheur», dit-on en Hassaniya pour marquer l’innocence et l’absence de calcul chez la personne. Il n’avait aucune idée de ce que pouvait être un trafic, encore moins de drogue. C’est pourtant lui qui semblait le plus accablé par la justice. Surtout que le véritable auteur du trafic était rompu, un vieux roublard qui pouvait se payer un avocat à partir de Nouakchott à défaut de se faire libérer sans procès. C’est mon ami qui fut choisi par cet homme pour le défendre.
Un parent à l’avocat vint le voir pour le dissuader de défendre le trafiquant, surtout d’accabler le pauvre propriétaire. Il lui raconta ce qu’était cet homme et sa famille pour l’apitoyer. Rien à faire, l’avocat invoqua le droit à la défense et l’engagement pris (peut-être l’avance aussi) pour justifier son refus de renoncer à défendre le fauteur.
Arrive le jour du procès. A Zouératt, ne se trouvait ce jour-là que l’avocat en question. De pourparlers en pourparlers, le juge finit par accepter de confier la mission de défendre le propriétaire à l’ami de l’avocat qui n’avait rien à voir avec le métier.
L’avocat invoqua le manque de preuve contre son client, raconta qu’il avait été trafiquant de cigarettes et non de drogue et révéla que, suite à un choc, il avait des accès de folie. «C’est peut-être pendant un accès de folie qu’il a dû reconnaitre le forfait devant la police». Et, comme pour faire bonne mine, il reconnut que «le propriétaire pourrait bien être innocent» mais que ce n’est pas pour cela que son client était coupable.
Notre avocat d’occasion objecta que son client ne ressemble en rien à un trafiquant, que son cursus était connu, ses activités aussi… «même la partie adverse reconnait qu’il peut être innocent. Parce que tout le donne innocent». Et d’ajouter : «L’avocat ici présent reconnait que son client subit des accès de folie, lui-même ne sait de l’affaire que ce que lui a raconté son client. Qui dit que ce qu’il lui a raconté n’était justement au moment d’une folie ?» La salle éclata de rire et personne ne répliqua : «nazza min majnoun zaakiya» (une bribe d’information donnée par un fou peut avoir du poids). Et c’est comme ça que la justice acquitta le propriétaire et condamna le trafiquant. Et c’est ainsi qu’un étranger à un métier remporta une victoire face à un chevronné. Tout arrive sous nos latitudes.