C’est une histoire qui m’a été racontée par quelqu’un qui se l’est rappelée à la suite d’une discussion sur la fragilité des généalogies, sur les recours de la société à l’administration de l’invisible pour réguler et préserver la cohésion en son sein.
Nous allons appeler cette servante «Khouydem Alla», un prénom typique des esclaves femmes et qui pourrait être traduit par : «petite servante de Allah». Cette esclave vivait dans un campement qui s’était organisé autour de la personnalité d’un Imam qui faisait office de chef religieux et mystique. Des marabouts, des guerriers, de grandes lignées et non.
Khouydem Alla n’avait pas arrêté de travailler chez ses maîtres malgré cinq enfants dont le plus jeune est déjà assez musclé pour porter les outres et courir après les plus instables des bêtes. Elle courait toujours derrière le troupeau de brebis qu’elle devait protéger contre le chacal et ramener, le soir venu, sans une absence.
Un jour qu’elle regardait paitre le troupeau, elle se dirigea vers une dune qui surplombait l’espace environnant. Non pour la vision romantique que le paysage offrait, mais pour avoir l’œil sur toutes les bêtes. En escaladant la dune, son pied heurta quelque chose de dur. Elle se mit à enlever le sable et vit le coint d’un canari.
Elle avait déjà entendu parler de ces canaris qu’on retrouvait de temps en temps dans le désert et qui étaient de véritables trésors enfouis par «les premiers hommes» habitants ces terres. On disait à côté d’elle que les femmes, les princes cachaient tous leurs biens dans ces canaris et les enfouissaient de peur de l’ennemi. Les découvrir, cela n’arrivait qu’aux autres, aux maitres pas aux esclaves.
Elle se mit quand même à creuser et put dégager le canari. Il était plein d’objets brillants, de perles. Elle revint chez elle appeler ses fils et ses maîtres. Ses fils transportèrent le canari jusque-devant la misérable tente de leur mère. Les maitres essayèrent de les obliger à se diriger vers eux. Une bagarre éclata. Les maîtres invoquaient leurs droits de vie et de mort sur leurs esclaves. Les esclaves tenaient à garder le trésor que leur mère avait trouvé. Et pour cela ils étaient prêts à recourir à la force. Encore une bagarre. Les habitants du campement se divisèrent. Une majorité soutenant les maitres. Arrive l’Imam qui, devant la menace de ce qui pouvait prendre l’allure d’une guerre civile, décida de laisser le canari là où il était et de laisser la discussion de l’affaire pour le lendemain matin.
L’Imam attendit la fin de la prière matinale à laquelle tous les adultes mâles sont tenus d’assister pour tenir le discours suivant : «La Bonté incommensurable d’Allah a fait que j’ai eu un rêve dans mon sommeil. D’ailleurs ce n’était pas un rêve, c’était une vision du Prophète Mohammad lui-même, Paix et Salut sur Lui. Il avait enfourché Al Buraq et m’interpellait violemment à cause de sa fille que nous voulons exproprier après l’avoir réduite en esclavage…» Bien sûr le discours était enroulé dans une phraséologie adéquate pour en souligner l’extraordinaire caractère.
Dès le réveil, la nouvelle avait déjà fait le tour du campement. Cela relevait du miracle ! Tout le monde accepta la nouvelle condition de Khouydem Alla qui put profiter de son trésor, elle et ses enfants. En changeant de statut…
D’esclave, elle devint Chérif (du bas de l’échelle sociale à son sommet). D’esclave, elle devint libre. Tout ça parce que, sentant la menace que faisait peser un tel trésor sur la paix sociale du campement, l’Imam, en homme sage, a décidé de faire appel à ses facultés «d’administrateur de l’invisible» pour trouver la parade.
Comme ça, la mobilité sociale a ses origines qui ont donné ce que Abdel Wedoud Ould Cheikh a appelé «la libéralisation des généalogies» et qui, selon lui, a fait fureur au moment où se libéralisaient l’économie (avec les plans d’ajustement de la BM et du FMI) et le politique (avec le multipartisme).
Morale : qu’est-ce qui ne doit pas être fait pour préserver la paix intérieure ? Combien sont fragiles les raisonnements «traditionnels» sur l’esclavage et sur les conditions sociales en général ! Une rupture avec l’ordre social arbitraire est facile. Ne pas la promouvoir, mais la provoquer au plus vite.